EDF - Le Livre Blanc

LE LIVRE BLANC Les conférences ECO2 par EDF, parlons économie neutre en carbone. Comment concilier préservation de la planète, bien-être et développement ?

Le Livre Blanc, un terreau pour l’avenir 4 14 8 visions d’experts 16 Repenser le vivant - Dominique Bourg 20 La faim du monde - Jean-Marc Jancovici 24 Le billet vert - Laurence Boone 28 Chacun joue ses dés - Thomas Sterner 32 Homo «Technologicus» - Adair Turner 36 Moins de biens - Patrick Artus 40 La richesse inclusive - Partha Dasgupta 44 Une règle de 3 - Estelle Cantillon 48 Le regard des personnalités interpellées Clôture du cycle de conférences ECO₂ par EDF Économie et politique : Laurent Fabius et Jean Tirole 50 L’invitée fil rouge : Cécile Renouard 52 Les capitaines d’industries : Renault - Jean-Dominique Senard, Nexity - Véronique Bédague, EDF - Jean-Bernard Lévy 52 6 La tribune des Ice Makers À quel jeu jouons-nous ? 8 Préambule 4 SOMMAIRE

68 Les Ice Makers 54 En coulisses, retour d’une expérience Margot Houtekier - Ingénierie nucléaire EDF 58 56 Annabelle Prin-Cojan - Directrice du cabinet Être et Avoir 57 Pierre-Yves Gerus - Chargé RSE et environnement EDF Myriam Paire-Valmy - Attachée de la Direction Marchés et Transformation EDF 60 Benjamin Bouchout - Ingénierie hydraulique EDF 59 61 Alexis Treilhes - Président fondateur de Green Insiders, ancien analyste cycle de vie Michelin 62 Le point de vue d’EDF Carine de Boissezon - Directrice de la direction Impact chez EDF 66 Alexandre Perra - Directeur exécutif du groupe EDF, Innovation, Responsabilité d’Entreprise et Stratégie 64

Atteindre la neutralité carbone tout en conciliant préservation de la planète, bien-être et développement, c’est le fondement de la raison d’être adoptée par le groupe EDF en 2020. Équation complexe à résoudre, jugée impossible par certains et suscitant d’innombrables débats, confrontant champs d’expertise et faisant émerger des partisaneries de tous bords. Expérimentant depuis quelques années des pratiques dites d’intelligence collective, justement pour résoudre des problèmes complexes, EDF a lancé une démarche inédite pour mettre à plat l’état des connaissances à ce jour et tenter de faire émerger des pistes de solutions. Comment ? En proposant à 8 experts - reconnus chacun dans leur domaine par la communauté internationale - de livrer leur vision sur cette question de conciliation des activités humaines et de préservation de la planète. Chaque mois, de juin 2021 à mars 2022, des experts de plusieurs champs académiques, reconnus pour leurs travaux, ont tenté de répondre à la question à l’occasion de conférencesdébats la plupart animées par Frédérique Bedos, en s’appuyant sur leurs recherches et l’état de l’art*. Parmi l’auditoire, un collectif de 65 volontaires issus d’une vingtaine d’organisations, entreprises, associations, … , autobaptisés « les ice makers », en référence au symbole de la fonte des glaces, déterminés à inverser la vapeur chacun à leur niveau. Chaque conférence d’expert a été soigneusement décortiquée et décryptée par les ice makers, synthétisant les grands enseignements livrés par ces personnalités, faisant émerger leurs paradoxes, identifiant les obstacles à leurs propositions et mettant en lumière les questions soulevées par leurs idées. Pour y parvenir, les ice makers ont utilisé des méthodes d’intelligence collective innovantes, permettant de dresser un panorama complet de la situation actuelle. Le Livre Blanc EDF 4 Le livre Blanc, un terreau pour l’avenir Préambule Le Livre Blanc, un terreau pour l’avenir P R É A M B U L E

Et enfin, le 22 mars 2022, ces mises en perspective des ice makers ont été soumises à des capitaines d’industrie et personnalités du monde économique et politique - Laurent Fabius (Président de la COP21 et Président du Conseil Constitutionnel), Jean Tirole (Prix Nobel d’économie), Jean-Bernard Lévy (Présidentdirecteur général du groupe EDF), Jean-Dominique Senard (Président du Conseil d’Administration de Renault Group), Véronique Bédague (Directrice Générale du groupe Nexity), Cécile Renouard (Présidente, Campus de la Transition, et Professeure, Centre Sèvres et membre du Conseil de Parties Prenantes du groupe EDF) – pour recueillir leurs réactions et surtout les pistes d’actions possibles face à ce constat partagé. La direction des programmes d’intelligence collective, plus connue en interne EDF sous le nom de « Parlons Energies », met en dialogue les salariés de l’entreprise sur des problématiques liées à la stratégie ou l’optimisation des activités. Elle a également ouvert des dialogues avec l’externe auprès des citoyens mais aussi de publics spécifiques, comme c’est le cas avec les Ice Makers qui ont accompagné ECO₂. Créé en 2018, plus de 25 000 salariés de l’entreprise et près de 4 000 citoyens sont intervenus dans des opérations Parlons Energies. Le Livre Blanc EDF 5 Le livre Blanc, un terreau pour l’avenir Préambule Le Livre Blanc se veut un outil de partage du matériau recueilli au cours de cette démarche, un terreau pour l’avenir, afin que chacun puisse se nourrir des points de vue des uns et des autres et surtout se forger sa propre vision sur la question fondamentale qui se pose à nous aujourd’hui : comment concilier préservation de la planète, bien-être et développement ? * Les 8 conférences sont disponibles en replay sur la chaine YouTube d’EDF : Conférences ECO₂ par EDF

LA TRIBUNE DES ICE MAKERS

EDF 8 À quel jeu jouons-nous ? La tribune des Ice Makers Autrement formulé, sommes-nous capables de concilier : - une dynamique climatique qui restera favorable au vivant et sa diversité tels que nous les connaissons (préservation de la planète). - une civilisation qui ne régresse pas et continue à améliorer son mode de vie (bien-être). - une civilisation qui progresse et permet à chacun de bénéficier de ses progrès (développement). … Et si oui comment ? La question est vaste, les approches multiples et les enjeux … fondamentaux pour nous et la planète. Nous devons embrasser toute la diversité et la complémentarité des angles pour aborder cette question. Pour y parvenir, EDF choisit d’inviter aussi bien Jean-Marc Jancovici, que Laurence Boone, Dominique Bourg ou encore Thomas Sterner et bien d’autres à s’exprimer lors d’un cycle de conférences ouvert. Des sciences physiques et chimiques à la macroéconomie, en passant par la philosophie ou encore l’économie environnementale ou l’équation politique, ce jeu multi-joueurs de (ré)conciliation entre préservation de la planète, bien-être et développement s’offre à l’auditeur sous des angles éclairants. Mais au-delà même de partager une diversité de perspectives et de connaissances pour se forger une lecture éclairée de la situation, EDF organise un exercice d’intelligence collective pour accompagner ce cycle. De l’intelligence collective ? En quoi est-ce utile ? Et pour produire quoi ? Avec qui ? 65 volontaires issus pour moitié de tous les métiers d’EDF et pour moitié d’autres sphères (secteur public, secteur privé, secteur associatif et culturel) se sont engagés à suivre ces conférences et à les analyser. Ils se sont baptisés les « ice makers » car tous engagés sur ces questions climatiques. Qu’ont-ils retenu de ces conférences ? Quels sont les paradoxes qu’ils ont observés ? les obstacles qu’ils ont identifiés ? les questions fondamentales qu’il reste à traiter ? Fort de ces expériences multiples, de l’indépendance d’esprit de chacun, le défi devenait possible : s’approprier un matériau dense et de qualité pour tenter de mieux cerner la problématique, les paradoxes à lever, les questions fondamentales à prendre en compte, les obstacles à anticiper, les leviers possibles. C’est à travers ce support, lui aussi ouvert, que toute cette matière est partagée, distribuée, diffusée le plus largement possible. À QUEL JEU JOUONS-NOUS ? Histoire d’un jeu Un mode de vie a minima acceptable et confortable est-il conciliable avec une protection de l’intégrité de la planète ? Cette question, c’est donc celle d’une stratégie de (ré)conciliation entre préservation de la planète, bien-être et développement. Le Livre Blanc

EDF 9 À quel jeu jouons-nous ? La tribune des Ice Makers - Concilier le sens collectif et les intérêts individuels. Chacun voudrait sortir gagnant là où tout le monde pourrait sortir perdant sans stratégie collective. - On ne peut pas demander à un système politique qui ne change pas d’amorcer une transformation. - Si la prise de conscience est élevée, la vision et la compréhension des enjeux restent faibles. Il y a un décalage évident entre les enjeux et les actes, les mesures prises et les mesures que la situation devrait imposer de prendre. - Les externalités propres à tout projet, positives comme négatives, sont difficiles à chiffrer. Bien que non négligeables, elles s’en trouvent de fait négligées. Les paradoxes Nous voyons clairement la nature multi-joueurs de la problématique au sens où chacun répond à ses enjeux à son échelle et doit contribuer à une partie dont l’enjeu est aussi collectif : ® freepik.com Le Livre Blanc

EDF 10 Le premier d’entre eux est directement en lien avec le paradoxe d’un mouvement individuel et collectif : l’iniquité des situations de départ. Un second obstacle dans ce jeu de sobriété multi-joueurs repose sur les différentes échelles de temps. Le troisième obstacle que nous voyons se mettre en place provient du couplage des 2 premiers : la peur de perdre dans le changement. Pays riches, pays émergents et pays pauvres doivent tous œuvrer dans le même sens en étant interdépendants de leurs échanges de matières premières, de biens et de services tout en permettant à chacun d’atteindre ses objectifs de développement propres. Cette lecture est transposable à une échelle individuelle par ailleurs. Dans une logique de concurrence plutôt que de coopération, quels leviers pourraient inciter une entreprise à revoir ses critères de performances si aucun de ses concurrents n’agit dans le même sens ? Sur un plan individuel, dans une logique de réussite sociale par le niveau de consommation possible plutôt que par l’investissement collectif, quels critères motiveraient à investir dans un nouveau schéma de société si aucun autre n’agit dans le même sens ? La régulation permettrait d’agir dans cette direction. Par exemple, une régulation internationale telle que le prix du carbone œuvrerait pour lever ce type d’obstacle. Ces 3 obstacles nous amènent à soulever de nombreuses questions qu’il semble falloir considérer pour établir une stratégie collective et individuelle soutenable sur le temps long et viable sur le temps court, de proche en proche, un pas après l’autre. Le temps court prend le pas sur le temps long dans l’élaboration d’une stratégie. Beaucoup d’indicateurs utilisés pour penser une stratégie, le PIB étant le plus symbolique d’entre eux, sont des indicateurs de temps court économique là où la problématique relève du temps long du vivant. Les investissements à mener dès aujourd’hui auront un impact dans plusieurs années voire décennies. Si le souhait dans un futur proche est de faire que nos modes de vie ne se dégradent pas, certains investissements nécessaires vont pourtant en premier lieu détruire pour reconstruire : de nouvelles filières de compétences, du nouveau patrimoine industriel, de nouveaux types d’habitation, de nouvelles organisations de société, … Si l’enjeu individuel doit être dépriorisé devant l’enjeu collectif, est-ce pour y perdre ou y gagner ? Nous voulons concilier préservation de la planète, bien-être et développement sans régression, en tout cas majeure. Quels sont dans ce cas les renoncements acceptables ou mineurs ? Pouvons-nous accepter l’idée de ne pas faire plus ou mieux ou de faire avec sobriété ? La disparité des échelles de temps et les diversités des situations de départ semblent plutôt nous pousser à privilégier la préservation de court terme de proche en proche pour ne pas y perdre de trop individuellement. Ainsi faisant, nous nous éloignons progressivement des meilleurs moments pour déclencher des investissements positifs à moyen ou long terme. Les obstacles À quel jeu jouons-nous ? La tribune des Ice Makers Le Livre Blanc

EDF 11 Comment faire agir ? Comment concilier ? Comment coopérer ? Il y a une distorsion entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif qui favorise le premier au détriment du second. Cette distorsion est renforcée par la difficulté à envisager et mettre en action une stratégie dans toutes ses dimensions de temps : temps court vs temps long. Quelle en est la conséquence ? À court terme, nous percevons plus de pertes que de gains. Quels seraient les leviers de motivation actionnables pour inverser cette tendance ? Qu’estce qui serait de nature à nous faire percevoir des valeurs de gains supérieures à celles des pertes liées au changement ? Devons-nous repenser la notion de croissance ? Continuer à en faire un pivot de notre développement ? Au sein des Ice makers, ces obstacles font évidemment écho étant donnée la diversité de nos profils et situations. Dans cette diversité, nous voyons également émerger des questions lorsque nous considérons avec plus d’attention ces obstacles et paradoxes. 3 questions nous apparaissent fondamentales à la lumière des 9 conférences que nous avons déjà suivies. Toutes les visions d’un futur souhaitable, a minima acceptable, semblent partager une hypothèse de conciliation de la préservation de la planète avec celle du bien-être et du développement. Dans ce mouvement, nous devons également relever le défi de concilier les enjeux individuels et collectifs. La régulation est-elle un levier d’amorçage de la conciliation en introduisant l’obligation de considérer certains facteurs ? La mise en place d’un coût de la tonne de carbone en est un exemple. Quels pourraient être des leviers de motivation incitant à orienter l’épargne et l’investissement vers des outils de transition énergétique ? Comment permettre à chacun de motiver l’intégration dans ses objectifs individuels des actions de bénéfices collectifs ? Pour préserver la glace, nous, Ice makers, avons perçu la dimension multi-joueurs de la problématique qui se présente à nous. Les connaissances partagées durant le cycle de conférences nous ont montré à quel point tout joueur souhaitant participer trouverait inacceptable de sortir perdant du jeu. Chaque joueur démarre avec des bonus et des handicaps : moyens financiers, matières premières, compétences, … Chaque joueur cherchera à maximiser ses bonus et réduire, voire annuler, ses handicaps. Comment dans ce cas mettre en place une stratégie de jeu avec un objectif commun acceptable et accepté ? Les outils de la coopération doivent-ils dépasser les leviers économiques ? La sobriété est-elle perçue comme un atout ou un handicap dans cette stratégie ? En quoi ? Toutes les interventions du cycle de conférences ECO₂ imaginé par EDF que nous avons pu suivre montrent donc que la connaissance de la situation, de ses causes et de son évolution est bien documentée. Les leviers d’actions possibles sont eux aussi clairs. Ils se heurtent cependant à ces 3 grands obstacles (l’iniquité des situations de départ, les différentes échelles de temps et la peur de perdre dans le changement.) Les questions fondamentales À quel jeu jouons-nous ? La tribune des Ice Makers Le Livre Blanc

Au bout du compte À quel jeu jouons-nous ? Un jeu de sobriété multi-joueurs. Le cycle de conférences ECO₂ par EDF nous a permis de voir que le terrain de jeu, les joueurs et les cartes du jeu sont bien connus, que des leviers économiques, technologiques ou politiques existent et que notre plus grand défi est d’amorcer une partie collective avec un objectif de jeu commun. En sommes-nous capables ? « Nous ne savons pas, nous n’avons jamais réellement essayé jusqu’à maintenant. » Cette réponse est celle de Thomas Sterner, économiste, chercheur et fondateur de l’unité de recherche pour l’économie environnementale à l’université de Göteborg, en Suède. Alors nous, les Ice makers, les Alumni for the Planet, les Rhizome, nous allons essayer, un pas après l’autre, collectivement.

DÉCRYPTÉES PAR LES ICE MAKERS 8 visions d’experts

Repenser par le vivant Dominique Bourg est un philosophe spécialisé sur les questions environnementales. Professeur honoraire de l’université de Lausanne. Dominique Bourg Le Livre Blanc EDF 16 Cliquez pour découvrir la conférence de Dominique Bourg

Selon Dominique Bourg, il est illusoire de penser que la civilisation humaine telle que nous la connaissons, avec ses modes de pensées et ses modes de consommation, puisse être préservée en l’état. Nous devons opérer une transformation radicale de la manière dont nous pensons nos sociétés, nos économies et nos techniques ainsi que leurs relations avec le vivant et la biosphère. Nos sociétés modernes ont considéré la nature comme un objet scientifique rationnel que l’on peut maitriser. Les conséquences directes de ce modèle, à savoir l’abstraction que l’être humain a développée vis-à-vis de la biosphère et du vivant et la croyance en une accumulation infinie des richesses, constituent aujourd’hui le fondement de notre pacte démocratique. Or, nous constatons bien que ce modèle n’est aujourd’hui plus tenable, il faut donc transformer ce pacte et faire émerger des alternatives soutenables pour chacun de ces aspects. Le philosophe souligne qu’on ne peut pas uniquement chercher des solutions techniques. Il s’agit d’une transformation culturelle et professionnelle, notamment dans la conception du métier d’ingénieur. Il est impératif d’élargir leurs enseignements, afin d’intégrer des notions de vivant, de philosophie ou d’anthropologie dans leur manière de concevoir la complexité des techniques. Il faut sortir d’une spiritualité du consumérisme pour rechercher d’autres formes de spiritualité, comme la sobriété ou le confort de vie. De la même manière, il faut cesser de rechercher la croissance à tout prix. Sans rentrer pour autant dans une approche dogmatique de la décroissance, il faut privilégier la croissance sous certaines conditions : activités culturelles, sanitaires, respectueuses du vivant etc. En somme, il est nécessaire de rechercher un optimum, entre économie, respect du vivant et bien être. Cette recherche ne sera pas simple et nécessite de transformer notre conception de la liberté. Nous devons passer d’une conception infantile de la liberté, où toute entrave est considérée comme contradictoire avec ma liberté, à une conception plus responsable, où la cité et la biosphère mesurent notre liberté, à travers des choix collectifs et la loi. La crise sanitaire Covid nous a montré plusieurs limites à notre modèle actuel : la fragilité de nos sociétés démocratiques, les conditions préalables nécessaires pour déployer de l’intelligence collective, à savoir une bonne information et une réflexion ouverte et enfin qu’il n’existe jamais de solutions techniques miracles pour résoudre nos difficultés. Nous avons vu au contraire l’importance du lien social, des infrastructures publiques ou la nature des « biens communs à tous les peuples » comme la santé. Ce que l’on retient : le matériau livré Sortir d’une spiritualité du consumérisme pour rechercher d’autres formes de spiritualité, comme la sobriété ou le confort de vie. Repenser par le vivant - Dominique Bourg Visions d’experts EDF 17 Le Livre Blanc

Les paradoxes identifiables dans son discours Techno-solutionnisme : Une volonté de toujours faire plus de technologies «efficaces» mais qui nécessitent des ressources, ce qui impacte la planète et la biodiversité. Refus des concessions : Une volonté de «gagner sur tous les tableaux». La croissance du PIB reste corrélée à la croissance des pressions environnementales, il semble paradoxal de maintenir une croissance matérialiste tout en souhaitant construire une civilisation soutenable. Difficulté d’opérer la transition : La transition écologique demande d’aller vers une réflexion « on pourrait mieux/ bien avec moins ». Or, cette réflexion est à contrecourant de nos modes de vie, en particulier dans nos sociétés occidentales. Cela pourrait générer de la frustration voire de la colère. Rôle des plus riches : L’urgence impose aux plus riches d’être les plus actifs dans la transition, car ils vont devoir soutenir l’effort des plus démunis, transformer leur mode de vie insoutenable pour la planète. On attend beaucoup d’eux alors que ce sont ceux qui ont le plus à perdre dans cette situation. Notion de « progrès » : Son usage est-il encore pertinent lorsqu’on sait que l’ensemble des « progrès » du XXIe siècle ont été accompagnés de dommages environnementaux qui mettent aujourd’hui en péril les civilisations humaines ? Pour les ice makers, bien qu’il nous mette en garde contre un modèle de société productiviste qui menace la préservation de la planète et plaide pour une vraie transformation, Dominique Bourg ne s’oppose pas fondamentalement au principe de développement des sociétés occidentales et encourage la poursuite du « progrès », s’appuyant en partie sur des solutions techniques et une culture de l’ingénierie verte. De plus, conduire un véritable projet de restructuration de nos sociétés nécessite un narratif collectif fort qui risque de se heurter à de nombreux obstacles : culture individualiste, éco-attentisme ou encore non-alignement des intérêts particuliers et collectifs. Autant de questionnements sur la manière d’envisager collectivement la reconstruction de notre contrat social et en préciser les nouveaux paradigmes. Le regard des ice makers sur la vision de Dominique Bourg EDF 18 Repenser par le vivant - Dominique Bourg Visions d’experts Le Livre Blanc

Questions soulevées Définition des termes : Que mettre dans le terme de progrès ? Projet de société : Comment redéfinir un cadre de valeurs sociétales, collectives, admises par tous, pour décliner des choix politiques, économiques et aussi individuels, socle pour bâtir un nouveau récit de société ? Ce cadre : ce serait la définition du progrès. Biodiversité et CO2 : La lutte contre le CO2 en l’état est-elle néfaste pour la biodiversité ? Changement culturel : Dans quelle mesure un changement de culture (par exemple interdiction de la publicité), ne permettrait pas de faciliter l’acceptation des transitions à venir ? Effort des plus riches : Comment mettre en action ceux qui ont le plus à perdre ? Définir les besoins : Quels sont nos besoins communs (santé, éducation, égalité, inclusion, etc…) ? Définir les seuils : Sur chaque besoin reconnu comme étant commun, quel serait le niveau minimum (plancher social) et comment définir un niveau maximum (plafond écologique) ? Nouveau pacte social. Les obstacles à la proposition Biodiversité : Les moyens de production, même si «neutres en carbone» ne sont pas «sans impact» sur la biodiversité (installation au sol, artificialisation des sols, captation eau, réchauffement eau). Individualisme : L’individualisme peut conduire à ne considérer que notre propre mode de vie et que les risques qui nous touchent directement. Cela représente des obstacles à l’échelle de l’individu, de sa société et de son espèce animale. Des contraintes désirables : Pour construire une civilisation durable pour elle-même et pour le non-humain au vu des limites planétaires, il faut accepter collectivement de s’imposer des contraintes fortes notamment en matière de redistribution dans le but de créer un projet de société désirable. Changement du narratif : Un obstacle évident est celui de concilier l’amélioration du bien-être et une baisse durable du pouvoir d’achat. Le narratif du bien-être associé à l’accumulation de biens matériels doit changer. Le changement de narratif est un obstacle à ne pas sous-estimer. Sans un nouveau narratif, une perte de confiance en l’avenir est à craindre, faute de lisibilité, faute de sens. Alignement d’intérêts contradictoires : Difficulté à aligner les intérêts individuels et collectifs à une échelle individuelle ou au niveau des nations. Pédagogie du problème : En amont de toute autre démarche, il y a un premier obstacle à lever. C’est le partage du constat. Sans compréhension partagée par le plus grand nombre du consensus scientifique, il est peu probable que les autres obstacles soient levés. EDF 19 Repenser par le vivant - Dominique Bourg Visions d’experts Le Livre Blanc

La faim du monde Jean-Marc Jancovici est un ingénieur, enseignant à l’école Mines ParisTech. Associé fondateur de Carbone 4 et président fondateur du think-tank The Shift Project, traitant de la question de la décarbonation de l’économie. Jean-Marc Jancovici EDF 20 Cliquez pour découvrir la conférence de Jean-Marc Jancovici Le Livre Blanc

Jean-Marc Jancovici défend l’idée de la décroissance économique comme seul moyen d’éviter un effondrement de nos civilisations. Selon lui, nous ne pouvons pas atteindre la neutralité carbone et préserver les ressources naturelles tout en continuant à viser un taux de croissance positif. D’après le rapport Meadows, toute forme d’augmentation de la production, même avec des énergies « vertes », nous amènerait inexorablement à un instant vers 2050-2100 où le système s’effondre sur lui-même. Sa thèse s’appuie sur l’idée que notre économie s’est construite avec l’idée que les ressources étaient infinies et à disposition. Nous avons utilisé certaines de ces ressources pour produire de l’énergie et ainsi augmenter notre productivité. Notre croissance repose donc essentiellement sur l’énergie, or celle-ci est, et a toujours été, malgré les innovations technologiques, majoritairement fossile et très polluante. Il y a donc une incompatibilité qui apparaît, dû à une limite sur les énergies. La croissance verte est en soi un oxymore puisque même si l’on parvenait à décarboner nos énergies, il resterait la question du stock disponible de ressources naturelles, qu’elles soient destinées à la production d’énergie ou directement à la consommation, comme la nourriture ou l’eau par exemple. Il faut sortir d’un débat purement économique et parler de sobriété. Selon Jean-Marc Jancovici, une large partie de la population soutient déjà l’idée de la décroissance. Il souhaite donc l’organisation de véritables débats publics sur le sujet afin de permettre une prise de conscience des acteurs politiques et la mise en place d’une réglementation contraignante. Il privilégie des politiques fortes, incluant des volets de financement et de formation, plutôt que des mesures incitatives comme la taxe carbone. Le processus de décroissance a en réalité déjà commencé. D’une part car les pics de production de la plupart des gisements d’énergies fossiles ont déjà été atteints, et d’autre part car la croissance est aujourd’hui artificielle, ne se basant que sur des actifs fictifs ou déjà existants. Cependant, les mesures ne sont actuellement pas suffisamment rapides au regard de l’urgence climatique. Ce que l’on retient : le matériau livré Il faut sortir d’un débat purement économique et parler de sobriété. La faim du monde - Jean-Marc Jancovici EDF 21 Visions d’experts Le Livre Blanc

Les paradoxes identifiables dans son discours Les ice makers relèvent dans les idées de Jean-Marc Jancovici que s’il faut faire pression sur les acteurs politiques pour ancrer la sobriété et la décroissance dans la sphère publique, notre système démocratique est largement verrouillé par sa lenteur et par les intérêts de ceux qui la dirigent. JeanMarc Jancovici ne donne pas d’actions précises quant à la transformation de notre gouvernance ni de nos régimes politiques. De plus, aller vers la décroissance nécessite d’être à la hauteur des enjeux. Pourtant, les incertitudes et incompréhensions autour de la notion demeurent fortes, il manque aujourd’hui d’une définition collective de ce que l’on souhaite faire et d’un récit qui puisse nous conduire et embarquer nos sociétés vers un futur plus désirable et sobre. Le regard des ice makers sur la vision de Jean-Marc Jancovici EDF 22 Conflit d’intérêts : Dans les démocraties représentatives, les dirigeants ont des intérêts individuels pouvant différer de l’intérêt général. Les conflits d’intérêts sont de nature économique (les dirigeants sont loin de la médiane, en revenus comme en capital) et politique (des décisions impopulaires sont préjudiciables à la poursuite de carrière). Les personnes qui sont aux postes les plus pertinents pour impulser les changements peuvent donc être paradoxalement les moins enclins à le faire. Démocratie et temps court : La démocratie implique souvent des dynamiques sur des temps longs. Ici, les changements profonds sont à impulser en quelques décennies seulement. Nous devons trouver des voies démocratiques pour parvenir à définir et hiérarchiser nos besoins communs ainsi que les interdictions communes. Difficulté d’opérer la transition : La transition écologique demande d’aller vers une réflexion « on pourrait mieux/ bien avec moins ». Or, cette réflexion est à contrecourant de nos modes de vie, en particulier dans nos sociétés occidentales. Cela pourrait générer de la frustration voire de la colère. La faim du monde - Jean-Marc Jancovici Visions d’experts Le Livre Blanc

Questions soulevées Les obstacles à la proposition EDF 23 Futur désirable : Manque de récits de futurs désirables pour avoir une idée du progrès compatible pour les futurs 10 milliards d’humains. Confiance : Un obstacle majeur est celui de la confiance mutuelle… - À l’échelle d’un territoire et de l’État. Pourquoi ferais-je des efforts individuels pour un collectif dans lequel je ne me reconnais pas ? - Entre les pays. Pourquoi soutenir une politique nationale ambitieuse alors que les autres pays ne joueront pas nécessairement le même jeu ? Comment avoir confiance dans des prises de décisions mondiales ? Comment dépasser le principe attentiste argumentant que c’est toujours à l’autre et/ou à celui qui pollue le plus de commencer les changements ? Incertitude : De nombreux progrès sociaux sont liés aux progrès techniques et à l’abondance énergétique rendue possible par les énergies fossiles. Supprimer le recours à ces énergies denses et bon marché représente une grande incertitude quant au maintien de nos niveaux de vie et à la pérennité des progrès sociaux. Changement du narratif : Un obstacle évident est celui de concilier l’amélioration du bien-être et une baisse durable du pouvoir d’achat. Le narratif du bien-être associé à l’accumulation de biens matériels doit changer. Le changement de narratif est un obstacle à ne pas sous-estimer. Sans un nouveau narratif, une perte de confiance en l’avenir est à craindre, faute de lisibilité, faute de sens. Pédagogie du problème : En amont de toute autre démarche, il y a un premier obstacle à lever. C’est le partage du constat. Sans compréhension partagée par le plus grand nombre du consensus scientifique, il est peu probable que les autres obstacles soient levés. Passer à l’action : Comment enclencher l’action ? Définir les besoins : Quels sont nos besoins communs (santé, éducation, égalité, inclusion, etc…) ? Hiérarchiser les risques : Comment hiérarchiser les risques liés à nos opinions et aux actions qui en découlent ? La faim du monde - Jean-Marc Jancovici Visions d’experts Le Livre Blanc

Le billet vert Laurence Boone est une économiste, spécialiste en macro-économie, politique européenne et finance publique. Ancienne conseillère économique de François Hollande et actuellement cheffe économiste du département des affaires économiques de l’OCDE. En 2022, elle entre au gouvernement Borne en tant que Secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée de l’Europe. Laurence Boone EDF 24 Cliquez pour découvrir la conférence de Laurence Boone Le Livre Blanc

Face à la transition écologique, Laurence Boone plaide pour une décarbonation de l’économie à travers la mise en place de politiques économiques ad hoc. Il s’agit d’abord d’identifier les secteurs les plus exposés et qui présentent les enjeux les plus importants, puis de prévoir les scénarios de transition et activer des leviers de politique économique pour les accompagner. Pour accélérer la décarbonation de l’économie, 3 instruments principaux existent : les investissements dans la recherche, le prix et la réglementation. Contrairement à la croyance commune, ces instruments n’affectent pas ou peu l’emploi et la productivité de manière globale. Il est cependant nécessaire de distinguer les différents secteurs d’activité et régions car ils ne sont pas tous exposés de la même manière. Il peut exister des différences pour plusieurs raisons : des politiques écologiques trop faibles ou empilées les unes sur les autres ou le coût plus ou moins supportable selon les types d’économie. Afin d’éviter un impact négatif trop important sur l’emploi et la productivité, il s’agit d’accompagner dans la décarbonation ces secteurs et régions plus durement exposés, en mettant en place des politiques économiques de formations, de localisation des emplois etc… Pour Laurence Boone, l’idée n’est pas de supprimer la croissance économique, puisqu’elle permet de fournir des emplois et de la richesse et est conciliable avec la décarbonation. Le progrès technique a un rôle primordial à jouer puisqu’il permet à la fois la croissance et l’innovation énergétique, nécessaire à la décarbonation. Il faut des investissements publics à la fois massifs pour les financer et flexibles pour s’adapter aux contextes et aux évolutions. La transition demande d’autant plus d’argent qu’elle doit inclure les pays en voie de développement, et nous devons à ce titre être exemplaires. Le niveau de dette n’est pas forcément un frein pour l’investissement à partir du moment où les citoyens ont confiance dans leurs institutions. Ils doivent être informés financièrement et les institutions doivent être transparentes sur les modes de redistribution, en particulier en ce que finance la transition écologique. Si les citoyens sont satisfaits de la gouvernance, alors il est plus facile de mettre en place ces politiques. Selon Laurence Boone, cela n’est pas impossible, les français sont par exemple plutôt favorables aux politiques de transition. Il faut donc un effort de clarté notamment sur l’utilisation des fonds récoltés par la taxe carbone. Ce que l’on retient : le matériau livré Le niveau de dette n’est pas forcément un frein pour l’investissement à partir du moment où les citoyens ont confiance dans leurs institutions. Le billet vert - Laurence Boone EDF 25 Visions d’experts Le Livre Blanc

Les paradoxes identifiables dans son discours Pour les ice makers, Laurence Boone ne prône pas une transformation radicale de notre modèle de société face à l’urgence climatique mais semble, au contraire, être confiante dans la possibilité de concilier neutralité carbone avec une croissance et des technologies vertes. Elle n’aborde pas ici d’autres facteurs comme la biodiversité, les ressources naturelles, les externalités ou même les inégalités socio-économiques. Aussi, les leviers de politique économique dont elle parle ne peuvent suffire sans un vrai changement de pensée économique, de définition du progrès ou de nos modèles de consommation. Le regard des ice makers sur la vision de Laurence Boone EDF 26 Refus des concessions : Une volonté de «gagner sur tous les tableaux». La croissance du PIB reste corrélée à la croissance des pressions environnementales, il semble paradoxal de maintenir une croissance matérialiste tout en souhaitant construire une civilisation soutenable. Externalités oubliées : Dans chaque projet, on peut identifier des externalités (positives comme négatives). Doit-on les quantifier pour les intégrer à la réflexion économique, ou au contraire, refuser la financiarisation de certains concepts (préservation du vivant, solidarité entre nations, inclusion…) pour gouverner avec des leviers de nature non-uniquement économiques et financiers ? Techno-solutionnisme : Une volonté de toujours faire plus de technologies «efficaces» mais qui nécessitent des ressources, ce qui impacte la planète et la biodiversité. Le billet vert - Laurence Boone Visions d’experts Le Livre Blanc

Questions soulevées Les obstacles à la proposition EDF 27 Progrès : Les progrès des uns peuvent être antinomiques à ceux des autres, par exemple avec la délocalisation des pollutions liées à l’industrie. Changements profonds : La transition énergétique engendrera une transition des emplois, avec de nombreuses conséquences (notamment lieux de vie et rémunération). Cette transition contribuera donc à des changements profonds de nos modes de vie. Obstacle ou opportunité ? Pédagogie du problème : A l’amont de toute autre démarche, il y a un premier obstacle à lever. C’est le partage du constat. Sans compréhension partagée par le plus grand nombre du consensus scientifique, il est peu probable que les autres obstacles soient levés. Individualisme : L’individualisme peut conduire à ne considérer que notre propre mode de vie et que les risques qui nous touchent directement. Cela représente des obstacles à l’échelle de l’individu, de sa société et de son espèce animale. Inégalités : Les plus riches doivent ralentir et perdre leurs avantages de «premier», et laisser les plus précaires accéder à un niveau de développement nécessaire au bien-être minimum. Rôle d’EDF : Comment EDF peut faire référence ? ouvrir la voie ? Projet de société : Comment redéfinir un cadre de valeurs sociétales, collectives, admises par tous, pour décliner des choix politiques, économiques et aussi individuels, socle pour bâtir un nouveau récit de société ? Ce cadre : ce serait la définition du progrès. Le billet vert - Laurence Boone Visions d’experts Le Livre Blanc

Chacun joue ses dés Thomas Sterner est un économiste suédois. Professeur à l’université de Göteborg et ancien membre du collège de France, il s’intéresse aux outils et aux conséquences des politiques environnementales. Il participe également à la rédaction du rapport du GIEC sur le climat en 2015. Thomas Sterner EDF 28 Cliquez pour découvrir la conférence de Thomas Sterner Le Livre Blanc

Thomas Sterner avance que l’analyse économique de nos actions doit être faite à l’aune de leurs coûts actuels mais aussi des bénéfices retirés à l’avenir, et cela pour en déduire un optimum. Il défend une analyse croisée entre le changement climatique, ses conséquences et les coûts économiques induits. Cela l’amène à déconstruire l’idée d’une croissance unique et propose des instruments et des politiques économiques différenciés selon les secteurs et le niveau de développement des régions. Des leviers économiques comme le prix du carbone ou le progrès technique en général ne peuvent être pensés de manière homogène et globale. Le modèle DICE, créé par le prix Nobel William Nordhaus, cherche justement à déterminer les conséquences sur la croissance économique de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Les travaux de Thomas Sterner cherchent à améliorer ce modèle et à l’ajuster sur la base des prévisions réelles des scientifiques. Ils questionnent également la notion de croissance : l’économiste explique que chaque degré de température supplémentaire amènerait à perdre une grande quantité de points du PIB, indice classique de mesure de la croissance. On ne peut donc plus chercher une croissance à tout prix. De plus, la croissance n’est pas uniforme. Toutes les régions du monde n’émettent pas autant de carbone que la Chine ou les Etats-Unis. A contrario, l’augmentation de richesse des habitants pauvres dans les pays en voie de développement aurait peu d’impact sur le climat. De même, tous les secteurs ne polluent pas de la même manière et seuls les moins polluants ou ceux qui parviennent à développer des solutions technologiques décarbonées devraient être autorisés à croître. Nous devons opérer un changement structurel et des choix de société pour décider ensemble de ce que l’on produit et de ce que l’on consomme. Des leviers économiques existent même s’ils comportent toujours des difficultés et des conditions pour leur mise en place. Le prix du carbone, des climate clubs ou le progrès technique sont autant d’instruments utilisables pour décarboner l’économie et éviter de tomber dans la décroissance qui serait néfaste pour les emplois, les salaires, le niveau de vie etc... Cependant, Thomas Sterner avoue ne pas savoir si une croissance soutenable pour la planète est réellement possible, les économistes ayant du mal à mesurer les risques et les incertitudes que présentent toutes les autres crises environnementales. À cela s’ajoute le fait que les principaux pays pollueurs ont du mal à intégrer ces exigences dans leurs politiques, peut-être par crainte de perte de compétitivité si les autres s’en dispensaient. Mais loin de se décourager, l’économiste plaide pour des technologies sans carbone et qui soient réellement adaptées à nos besoins. Ce que l’on retient : le matériau livré Le prix du carbone, des climate clubs ou le progrès technique sont autant d’instruments utilisables pour décarboner l’économie Chacun joue ses dés - Thomas Sterner EDF 29 Visions d’experts Le Livre Blanc

Les paradoxes identifiables dans son discours Pour les ice makers, l’économiste suédois pose comme condition de garantie de la préservation de la planète une transformation profonde de nos économies, de nos modes de vie ainsi qu’une gouvernance incluant des enjeux non-strictement économiques. Pourtant, il omet le sujet des externalités positives et négatives. Il n’aborde pas non plus la question des actions à mener et celle de l’enclenchement de ces actions : il ne donne pas de pistes sur la manière dont opérer l’ensemble de ces changements ou comment rendre acceptables et désirables les contraintes qu’il faut pourtant nous imposer. Néanmoins, son intervention pose la question de la définition, à la fois d’un cadre de valeurs et des besoins communs, comme la santé, l’éducation etc… et de l’abandon de l’idée d’un modèle de croissance homogène et unique. Le regard des ice makers sur la vision de Thomas Sterner EDF 30 Externalités oubliées : Dans chaque projet, on peut identifier des externalités (positives comme négatives). Doit-on les quantifier pour les intégrer à la réflexion économique, ou au contraire, refuser la financiarisation de certains concepts (préservation du vivant, solidarité entre nations, inclusion…) pour gouverner avec des leviers de nature non-uniquement économiques et financiers ? Chacun joue ses dés - Thomas Sterner Visions d’experts Le Livre Blanc

Questions soulevées Les obstacles à la proposition EDF 31 Changements profonds : La transition énergétique engendrera une transition des emplois, avec de nombreuses conséquences (notamment lieux de vie et rémunération). Cette transition contribuera donc à des changements profonds de nos modes de vie. Obstacle ou opportunité ? Des contraintes désirables : Pour construire une civilisation durable pour elle-même et pour le non-humain et au vu des limites planétaires, il faut accepter collectivement de s’imposer des contraintes fortes notamment en matière de redistribution dans le but de créer un projet de société désirable. Incertitude : De nombreux progrès sociaux sont liés aux progrès techniques et à l’abondance énergétique rendue possible par les énergies fossiles. Supprimer le recours à ces énergies denses et bon marché représente une grande incertitude quant au maintien de nos niveaux de vie et à la pérennité des progrès sociaux. Inégalités : Les plus riches doivent ralentir et perdre leurs avantages de «premier», et laisser les plus précaires accéder à un niveau de développement nécessaire au bien-être minimum. Confiance : Un obstacle majeur est celui de la confiance mutuelle… - À l’échelle d’un territoire et de l’État. Pourquoi ferais-je des efforts individuels pour un collectif dans lequel je ne me reconnais pas ? - Entre les pays. Pourquoi soutenir une politique nationale ambitieuse alors que les autres pays ne joueront pas nécessairement le même jeu ? Comment avoir confiance dans des prises de décisions mondiales ? Comment dépasser le principe attentiste argumentant que c’est toujours à l’autre et/ou à celui qui pollue le plus de commencer les changements ? Passer à l’action : Comment enclencher l’action ? Projet de société : Comment redéfinir un cadre de valeurs sociétales, collectives, admises par tous, pour décliner des choix politiques, économiques et aussi individuels, socle pour bâtir un nouveau récit de société ? Ce cadre : ce serait la définition du progrès. Définir les besoins : Quels sont nos besoins communs (santé, éducation, égalité, inclusion, etc…) ? Chacun joue ses dés - Thomas Sterner Visions d’experts Le Livre Blanc

Homo «technologicus» Lord Adair Turner est un économiste britannique, directeur de l’Energy Transitions Commission et ancien président du Committee on Climate Change, organisme public qui intervient auprès du gouvernement et du parlement britannique. Adair Turner EDF 32 Cliquez pour découvrir la conférence d’Adair Turner Le Livre Blanc

Pour faire face au dérèglement climatique, Adair Turner porte une double conviction technologique : la nécessité et la possibilité de décarboner l’économie sur le long terme par l’électrification le plus large possible des usages. Le passage par l’électricité verte est nécessaire dans la mesure où elle est la seule condition techniquement et économiquement envisageable pour un avenir durable. Il est aujourd’hui possible de développer des systèmes électriques massivement renouvelables grâce aux solutions technologiques existantes. En effet, ces technologies décarbonées prouvent leur viabilité pour l’avenir : elles sont de plus en plus accessibles, utilisent de moins en moins de ressources naturelles rares et peuvent mutuellement compenser leurs lacunes singulières comme l’intermittence du vent par exemple. De plus, la chute de leur prix et du prix de l’électricité les rendent économiquement viables, tant pour les investisseurs que pour les consommateurs. Nous pouvons imaginer des scénarios énergétiques se passant du nucléaire, notamment du nouveau nucléaire dont le prix augmente. Cependant, dans les pays où il est présent, il serait dommage de se priver de cette électricité décarbonée. Il existe bien sûr des différences de rythme à opérer la transition énergétique : ce rythme dépend des secteurs économiques. Mais malgré cela, grâce aux engagements et à la prise de conscience collective ainsi qu’aux solutions technologiques comme l’hydrogène vert, la neutralité carbone peut être atteinte en 2050. Cette dynamique d’un système électrique vert est une véritable révolution industrielle, avec des conséquences significativement faibles sur l’environnement au regard de celles induites par le système actuel des énergies fossiles. Cette révolution doit être accompagnée de politiques fortes pour faire appliquer ces résolutions, impulser des investissements et protéger les plus pauvres des coûts de cette révolution. Cela passe autant par de l’incitation, comme avec le prix du carbone, que par de la réglementation, en fonction des secteurs et des besoins. Adair Turner pointe néanmoins la lenteur de notre système à développer et déployer massivement ces technologies face à l’accélération de la hausse des températures, ainsi que l’inefficacité des solutions technologiques actuelles s’agissant de l’alimentation et des terres agricoles. De ce fait, et jusqu’à ce que nous soyons parvenu à résoudre ces problématiques, nous devons transformer nos modes de vie par des choix plus sobres : baisse de notre consommation de biens et services ou encore de nourriture hautement émettrice de carbone à la production (viande par exemple). Ce que l’on retient : le matériau livré La nécessité et la possibilité de décarboner l’économie sur le long terme par l’électrification le plus large possible des usages Homo « technologicus » - Adair Turner EDF 33 Visions d’experts Le Livre Blanc

Les paradoxes identifiables dans son discours Le cœur de la vision proposée par Adair Turner est un paradoxe pour les ice makers : faire plus de technologies et d’activités humaines mais décarbonées pour une croissance soutenable par une nouvelle révolution industrielle. Cette proposition pour concilier préservation de la planète, bien-être et développement semble mettre l’accent sur les 2 derniers points en accentuant la pression sur le premier. S’il développe malgré tout un besoin de sobriété dans nos modes de vie, il aborde peu les pistes liées à l’habitation et au transport, les 2 secteurs les plus émetteurs de CO2 avec l’industrie de l’énergie mais aussi l’agriculture/l’alimentation, secteur pour lequel il pointe lui-même la faiblesse technologique pour la réduction des émissions. Le regard des ice makers sur la vision de Lord Adair Turner EDF 34 Refus des concessions : Une volonté de «gagner sur tous les tableaux». La croissance du PIB reste corrélée à la croissance des pressions environnementales, il semble paradoxal de maintenir une croissance matérialiste tout en souhaitant construire une civilisation soutenable. Externalités oubliées : Dans chaque projet, on peut identifier des externalités (positives comme négatives). Doit-on les quantifier pour les intégrer à la réflexion économique, ou au contraire, refuser la financiarisation de certains concepts (préservation du vivant, solidarité entre nations, inclusion…) pour gouverner avec des leviers de nature non-uniquement économiques et financiers ? Techno-solutionnisme : Une volonté de toujours faire plus de technologies «efficaces» mais qui nécessitent des ressources, ce qui impacte la planète et la biodiversité. Rôle des plus riches : L’urgence impose aux plus riches d’être les plus actifs dans la transition, car ils vont devoir soutenir l’effort des plus démunis, transformer leur mode de vie insoutenable pour la planète. On attend beaucoup d’eux alors que ce sont ceux qui ont le plus à perdre dans cette situation. Homo « technologicus » - Adair Turner Visions d’experts Le Livre Blanc

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